8/21/2006

Diogène et Pollux

- I -

DIOGÈNE. — Pollux, je te recommande, aussitôt que tu seras retourné là-haut, car c est à toi, je pense, à ressusciter demain, si tu aperçois quelque part Ménippe le chien, et tu le trouveras à Corinthe près du Cranium, ou bien au Lycée, riant des disputes des philosophes, de lui dire: «Ménippe, Diogène t'engage, si tu as assez ri de ce qui se passe sur la terre, à venir dessous rire encore davantage. En haut, tu n'es pas toujours certain d'avoir à rire; car, comme on dit, qui sait au juste ce qu'il advient après la vie? Mais en bas tu riras sans fin, ainsi que moi, quand tu verras les riches, les satrapes, les tyrans rabaissés, perdus dans l'ombre, sans autre distinction que des gémissements, arrachés à leur mollesse et à leur lâcheté par le souvenir des choses de là-haut.» Dis-lui cela; et ajoute qu'il ait soin de venir la besace pleine de lupins, ou bien d'un souper d'Hécate trouvé dans quelque carrefour, d'un oeuf lustral, ou enfin de quelque chose de pareil.
- II -

POLLUX. — Je lui dirai tout cela, Diogène; mais pour que je le reconnaisse mieux , fais-moi son portrait.
DIOGÈNE. — C'est un vieillard chauve, ayant un manteau plein de trous, ouvert à tous les vents, et rapiécé de morceaux de toutes couleurs: il rit toujours, et se moque, la plupart du temps, de ces hâbleurs de philosophes.
POLLUX. — Il ne sera pas difficile à trouver avec ce signalement.
DIOGÈNE. — Veux-tu bien aussi te charger d'une commission pour ces philosophes eux-mêmes?
POLLUX. — Parle: cela ne sera pas non plus lourd à porter.
DIOGÈNE. — Dis-leur en général de faire trêve à leurs extravagances, à leurs disputes sur les universaux, à leurs plantations de cornes réciproques, à leurs fabriques de crocodiles, à toutes ces questions saugrenues qu'ils enseignent à la jeunesse.
POLLUX. — Mais ils diront que je suis un ignorant, un malappris, qui calomnie leur sagesse.
DIOGÈNE. — Eh bien! dis-leur de ma part d'aller se.... lamenter.
POLLUX. — Je le leur dirai, Diogène.
- III -

DIOGÈNE. —Quant aux riches, mon cher petit Pollux, dis-leur aussi de ma part: «Pourquoi donc, insensés, gardez-vous cet or? Pourquoi vous torturer à calculer les intérêts, à entasser talents sur talents, vous qui devrez bientôt descendre là-bas avec une seule obole?»
POLLUX. — Tout cela leur sera dit.
DIOGÈNE. — Dis à ces gaillards beaux et solides, Mégille de Corinthe et Damoxène le lutteur, qu'il n'y a plus chez nous ni chevelure blonde, ni tendres regards d'un œil noir, ni vif incarnat des joues, ni muscles fermes, ni épaules vigoureuses: mais tout n'est ici que poussière, comme l'on dit, un amas de crânes sans beauté.
POLLUX. — Ce n'est pas difficile d'aller dire cela à tes gaillards beaux et solides.
- IV -

DIOGÈNE. — Mais aux pauvres, dont le nombre est grand, et qui, mécontents de leur sort, déplorent leur indigence, dis leur, Laconien, de ne plus pleurer, de ne plus gémir; apprends-leur qu'ici règne l'égalité, qu'ils y verront les riches de la terre réduits à leur propre condition; et, si tu veux bien, reproche de ma part à tes Lacédémoniens de s'être bien relâchés.
POLLUX. — Ne dis rien, Diogène, des Lacédémoniens: je ne le souffrirais pas; mais ce que tu mandes aux autres, je le leur ferai savoir.
DIOGÈNE. — Eh bien! laissons en paix les Lacédémoniens, puisque tu le veux; mais porte mes avis à ceux dont je t'ai parlé.

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